Quelle est la structure et la dynamique des systèmes faiblement liés (noyaux exotiques) ?
Les systèmes faiblement liés sont au cœur des efforts expérimentaux pour repousser les limites de la connaissance. Il s’agit d’approcher au plus près de la frontière de stabilité, du coté des neutrons comme des protons, pour produire et analyser des noyaux instables dont la durée de vie est extrêmement courte. En France, le GANIL s’est orienté vers la production des noyaux exotiques depuis le début des années 1990, d’abord via la fragmentation en ligne d’un faisceau primaire, puis depuis le début des années 2000, via le procédé ISOL (SPIRAL1) et son extension SPIRAL2. Plus récemment, ALTO permet de produire des noyaux exotiques via un procédé ISOL complémentaire à celui du GANIL. La France est aussi associée, via le CERN, à l’installation ISOLDE. Ainsi, les équipes françaises sont impliquées auprès de l’ensemble des machines en fonctionnement, en France et à l’étranger. A RIKEN (Japon) des faisceaux de noyaux exotiques les plus extrêmes sont produits depuis la fin des années 2000. Le cycle de fonctionnement de cette installation est cependant faible, et de nouvelles installations sont en phase de construction en Allemagne (FAIR) et aux Etats-Unis (FRIB). Ce GT est une opportunité pour aider à la synergie entre les installations françaises et étrangères à travers des questions scientifiques spécifiques ou des concepts théoriques communs.
Peut-on prédire dans un cadre théorique cohérent des observables de réactions de basse énergie (transfert, noyaux anti-protoniques, diffusion électron-noyaux) ? Quelles nouvelles mesures seraient utiles aujourd’hui à cette fin ?
A l’exception des systèmes de masse A<10 à très basse énergie, les approches décrivant la structure des noyaux (modèle en couches, champ moyen, etc…) sont souvent déconnectés de celles qui permettent de traiter les mécanismes de réactions. Les informations issues de réactions demeurent donc aujourd’hui au niveau « d’indication expérimentale ». Peut-on imaginer des approches théoriques qui permettent d’aborder structure et réaction d’un même pied d’égalité tout en contrôlant les incertitudes ? Quelles sondes expérimentales pourraient permettre une telle approche cohérente ?
Deux pistes peuvent être envisagées: (i) des réactions de très basse énergie où l’espace en moment est suffisamment restreint pour qu’un traitement numérique soit envisageable (ex. transfert à très basse énergie, annihilation de nucléon après capture d’antiproton), (ii) les sondes électromagnétiques dont le Hamiltonien est connu, par exemple diffusion d’électron, photons γ de haute énergie (plusieurs MeV), qui permettraient éventuellement de traiter les interactions dans l’état final de façon contrôlée.
Quel est l’effet des états du continuum dans la description des systèmes nucléaires ?
Contrairement aux noyaux stables, les états du continuum jouent un rôle très important pour la description de la spectroscopie et des réactions des systèmes faiblement liés. La modélisation théorique est ainsi cruciale dans l’analyse des mesures expérimentales. Il s’agit par exemple de la compréhension des spectres γ d’états faiblement liés et de résonances, des effets proches du seuil d’émission pouvant révéler des corrélations à plusieurs particules, l’apparition d’agrégats « exotiques » (2n, 4n, 3H, 2He, 3He, etc…), ou encore de paires d’états non-liées. Les états du continuum jouent un rôle très important dans les corrélations d’appariement proches de la dripline. Ils peuvent renforcer ou bien fortement réduire ces corrélations et faire apparaître de nouveaux phénomènes qui défient à la fois la modélisation théorique mais aussi les possibilités de mesure expérimentales. Le continuum joue un rôle important dans les réactions de basse énergie, dont certaines sont d’intérêt astrophysique, comme (N,N’) et les captures radiatives (N,γ), où N=n, p, ainsi que les réactions binaires avec des projectiles complexes comme (d,d’), (3He,3He’), (α,α’), (d,N), (α,N), où les enjeux théoriques concernent l’anti-symétrisation entre les états du projectile, de la cible, et du noyau composé (projectile+cible).
Quel est le lien entre dynamique et statistique pour les réactions nucléaires complexes ?
Les réactions nucléaires complexes ne peuvent pas être décrites en termes d’éléments de matrices de transition entre états nucléaires discrets du fait du très grand nombre d’états intermédiaires dans le continuum. Il est souvent préférable d’utiliser les outils théoriques de mécanique statistique. C’est le cas des réactions entre ions lourds aux énergies supérieures à l’énergie de Fermi, des réactions centrales avec des projectiles légers aux énergies relativistes, ainsi que des réactions entre ions lourds autour de la barrière Coulombienne. Dans ces collisions les temps caractéristiques de réaction sont comparables aux temps de relaxation vers l’équilibre, et des phénomènes dépendants de la dynamique de la voie d’entrée (émission à mi-rapidité, flot radial et transverse,…) coexistent avec des phénomènes purement thermiques (population statistique des canaux de fragmentation en voie de sortie, spectres maxwelliens de particules…). Un contrôle complet de la dynamique de réaction est indispensable pour pouvoir discriminer entre ces deux aspects et pouvoir ainsi extraire des observables expérimentales à la fois les propriétés thermiques de la matière nucléaire et des noyaux finis (capacité calorifique, densité des états, modification des propriétés des noyaux dans un milieu dense et chaud) et les propriétés de transport (viscosité, modification des sections efficaces dans le milieu). L’ensemble de ces propriétés constitue l’équation d’état de la matière nucléaire à température finie et joue un rôle important dans de nombreux phénomènes astrophysiques. Ce programme ambitieux a considérablement avancé dans les dernières décennies grâce à l’avènement des multi-détecteurs de particules chargées, qui ont permis de mettre en évidence la transition liquide-gaz nucléaire et de poser des contraintes importantes sur l’équation d’état proche de la symétrie neutron-proton. Toutefois les analyses restent incomplètes et affectées de grandes barres d’erreur à cause de limitations à la fois de détection et de modélisation. De plus, le comportement de la matière riche en neutrons, qui est la plus intéressante du point de vue astrophysique, est encore largement inexploré. Par ailleurs, la fission nucléaire est un mécanisme privilégié des collisions d’ions lourds autour de la barrière Coulombienne. Les études expérimentales et théoriques sont menées en France à GANIL, SPIRAL2 avec NFS, et ALTO, pour mieux comprendre ce processus complexe qui associe des effets collectifs de structure à des effets dynamiques. Ces études permettront aussi d’enrichir les données nucléaires existantes qui sont utilisées pour comprendre la nucléosynthèse des éléments lourds.
Comment caractériser et modéliser les états moléculaires dans les noyaux ? Les états moléculaires peuvent-ils s’interpréter en terme de localisation / délocalisation ?
La mise en évidence d’états cluster dans les noyaux rassemble des efforts à la fois expérimentaux et théoriques, comme la compréhension du mécanisme d’émergence d’états cluster et la signature expérimentale de ces états. Du point de vue théorique, les différents aspects à l’origine des états cluster pourront être discutés sous l’angle de la localisation spatiale, du couplage au continuum, de la déformation, etc… Du point de vue expérimental, la nature en cluster du noyau peut se manifester de différentes façons : par ses propriétés de fragmentation, par des intensités de transition monopolaires anormalement grandes, ou encore par des transitions γ spécifiques dans les régions de grandes déformations. Dans ces régions, la signature caractéristique de la déformation est le regroupement des états excités dans des bandes de rotation à grand moment d’inertie. Ces états excités sont le plus souvent connectés par des transitions γ E2 collectives. Un autre indice expérimental consiste à identifier une transition γ très collective entre états résonants clusters, comme celle récemment observée dans 8Be. Nous discuterons des nouvelles techniques de détection γ et de fragments, ainsi que du lien avec les états super déformés dans les masses moyennes ou légères et les états cluster. En outre, l’étude des réactions comme la diffusion quasi-libre ou bien le transfert de clusters, permet d’obtenir des informations précieuses sur la structure en cluster des noyaux étudiés. Plus généralement, nous nous poserons aussi les questions suivantes : comment mesurer la localisation spatiale ? Quel est le lien entre clusterisation au sein des noyaux et dans l’écorce des étoiles à neutrons ? Que nous apprend la complémentarité des différentes approches théoriques capables de prédire la clusterisation nucléaire ?
Quelle est la limite de stabilité des noyaux à halos ? Comment les halos émergent-ils de la théorie ?
Les noyaux à halo sont situés à la limite de la stabilité nucléaire des noyaux légers (Z<10) et ont la particularité d’être spatialement beaucoup plus étendus que leurs voisins. Cette propriété de très basse énergie se répercute sur leur stabilité et le halo a généralement une énergie de liaison de l’ordre de quelques centaines de keV seulement. Des questions se posent encore sur les propriétés de l’état fondamental de certains noyaux, comme 26O (avec seulement 18 keV d’énergie de liaison), 28O (doublement magique), ainsi que les halos de di-neutrons comme 19B et 22C dont les S2n sont compatibles avec 0. Du point de vue théorique, l’apparition d’une échelle de très basse énergie permet de formuler une théorie effective pour ces noyaux dite « Halo EFT ». De nombreuses questions restent en suspend : reste t-il encore des noyaux à halos à découvrir ? Peut-on former un halo de 4 neutrons ? Existe t-il une radioactivité tétra-neutron ? Quelles sont les propriétés du tétra-neutron ? La dripline est-elle une limite définitive, où bien y a t-il des « ilots » de stabilité au delà ? Comment la propriété de halo évolue-t-elle avec la charge des noyaux (pour Z>10) ? Quel est le lien entre noyau à halo et peau de neutron dans les noyaux plus lourds ?
La décroissance beta nous réserve t-elle encore des surprises ?
La plupart des noyaux, à l’exception des noyaux stables, sont soumis à la décroissance beta : β+ pour les pauvres en neutrons, et β- pour les riches en neutrons. La dépendance en isospin de la décroissance beta est encore un sujet d’actualité, à la fois pour la compréhension des processus fondamentaux mis en jeu, mais aussi pour la physique des réacteurs dont la modélisation repose encore sur de nombreuses prédictions théoriques. La détection des anti-neutrinos des réacteurs nécessite aussi de connaître la forme des spectres beta des transitions interdites non-uniques, encore très peu connues. D’un point de vue fondamental, les courants vectoriels (Fermi) et axial-vectoriel (Gamow-Teller) sont bien connus et l’on recherche des traces d’autres courants comme les courants scalaires, tensoriels, pseudo-scalaires dans les décroissances β. Si ces courants existent, comment les mesurer (dispositifs, analyse, support théorique) ? Y a t-il un lien entre les mesures de décroissance β de précision à basse énergie et les études à haute énergie au LHC ? Enfin, l’étude de la désintégration double-beta permet de mieux caractériser les propriétés des neutrinos. En effet, la physique nucléaire y joue un rôle très important à travers les éléments de matrice de transition, mais il reste encore de nombreuses incertitudes théoriques à ce sujet. Comment résoudre ces problèmes théoriques et rendre les études de désintégration double-beta plus conclusives ?
Comment étendre l’interaction nucléaire aux noyaux avec étrangeté ? Quelles nouvelles données sont nécessaires ?
La compréhension de la force nucléaire peut s’étendre à la symétrie SU(3) via l’étude des hypernoyaux. Les hypernoyaux proches de la ligne de stabilité ont été étudiés principalement via des réactions induites par des faisceaux de kaons ou d’électrons et leur spectroscopie est d’abord associée aux mesures de durées de vie. En plus du nouveau degré de liberté relié à l’étrangeté, l’asymétrie en isospin permet de former des noyaux « hyper-exotiques », comme par exemple 2n-Λ. Ajouter un hypéron dans un noyau peut aussi être utilisé comme sonde du cœur des noyaux, non sujet au principe de Pauli. Les hypernoyaux pourraient donc permettre d’extraire des propriétés du noyau difficiles à mesurer directement. Finalement, les hypernoyaux apportent des contraintes pour la matière hyperonique qui pourrait exister dans le cœur des étoiles compactes. Cette thématique concerne essentiellement les études expérimentales qui pourraient être faites à FAIR-GSI.